“Il faut composer avec ce que l’on a, pas avec ce que l’on n’a pas”
Portrait d’Alexandre PAVIZA, récemment arrivé 3e à l’emblématique IRONMAN World Championship de Kailua-Kona à Hawaï le 6 octobre 2022, concurrent aux JO de Tokyo 2020 et licencié au TCN depuis 10 ans.
1. Peux-tu te présenter, nous parler de ton histoire et de ta rencontre avec le triathlon ?
Je m’appelle Alexandre PAVIZA, j’ai 51 ans et je vis à Geneston, une commune située à 20 km au sud de Nantes.
Un matin, il y a 13 ans, je me suis réveillé et je n’arrivais plus à bouger mes jambes. Après de longues recherches, les médecins m’ont diagnostiqué une polyradiculonevrite, une maladie neurologique auto-immune rare qui se manifeste par une faiblesse musculaire des membres inférieurs : 80 % de mes jambes ne fonctionnent plus, je suis donc en fauteuil roulant. C’est une maladie qu’on n’explique pas bien, il y a une dizaine de cas par an en France, aussi bien des hommes que des femmes, de tous âges, sans trame commune entre les malades.
A la suite du diagnostic, j’ai passé deux ans à l’hôpital, et quand j’ai enfin pu rentrer chez moi, les médecins m’ont incité à pratiquer une activité physique, notamment la natation, ce que j’ai fait. Puis quelque temps plus tard j’ai sympathisé avec un membre du TCN qui m’a invité à rejoindre le club, j’étais alors le premier licencié dans la catégorie paratriathlon.
Comme j’étais en invalidité permanente, je n’avais pas grand chose à faire, j’allais donc nager 5 à 6 fois par semaine avec le club. J’avais déjà un handbike que des amis et ma famille m’avaient offert à mes 40 ans, il ne me manquait plus qu’un fauteuil d’athlétisme. J’en ai trouvé un d’occasion et j’ai commencé à m’entraîner seul.
Avant mon handicap, je n’étais pas un grand sportif, il m’arrivait de courir de temps en temps avec des copains ou de faire quelques boucles à vélo, mais rien de très régulier. Je me suis donc mis au sport à 40 ans passés !
2. Comment tu t’es retrouvé à faire des courses à l’international ?
Comme pour moi le triathlon c’était de la longue distance, j’ai direct commencé par des formats M et L, que je faisais en France. Puis un jour, à l’issue d’une course, on m’a proposé de participer aux Championnats de France de triathlon qui se déroulaient au Mans (2014). J’ai terminé 3e et je me suis fait repérer par l’entraîneur national, l’équivalent d’un sélectionneur, qui m’a proposé de faire des courses à l’international, c’est comme ça que ça a commencé. J’ai fait une première course à Madrid, puis à Yokohama au Japon l’année suivante, et ça s’est enchaîné. A l’époque, la Fédé n’avait pas les moyens de nous soutenir, je participais donc aux compétitions avec mes propres moyens financiers et logistiques. Aujourd’hui c’est un peu différent, les athlètes sont mieux accompagnés.
Depuis, je fais 7 et 8 courses par an à l’international. En 2016-2017, soit 3-4 ans après être arrivé au TCN, j’étais classé 10-12e mondial ; en 2020-2021, j’étais classé 5-6e mondial.
3. Tu peux nous parler de ton expérience des JO à Tokyo ?
J’ai été sélectionné pour participer aux JO de Tokyo en 2020, une expérience que je n’ai pas spécialement apprécié à cause du COVID : il y eu peu d’échanges avec les autres athlètes car tout le monde avait peur d’attraper le virus, on était en vase clos dans les différents lieux d’entraînement, il n’y avait pas de public… Ce n’était pas l’ambiance festive qu’on s’imagine quand on se voit participer à un tel évènement. En plus de ça j’ai eu des galères matérielles pendant la course : un problème de dérailleur sur mon handbike et de la graisse sur la main courante de mon fauteuil qui m’ont empêché de performer alors que j’étais en excellente condition physique. C’est frustrant pour une course que tu prépares depuis 4-5 ans, surtout qu’à mon âge, je n’envisage pas d’aller aux JO de Paris.
4. Et ça ressemble à quoi l’entraînement d’un para-athlète des JO ?
Je m’entraîne environ 22-23 heures par semaine. Je monte parfois à 30 heures, mais jamais plus, car je fais tout avec mes bras, c’est plus compliqué d’augmenter en volume.
Les premières années je me faisais coacher par Rodolphe, puis je me suis entouré d’autres entraîneurs qui m’ont tous aidé à progresser et à évoluer. Ce n’était pas des entraîneurs spécialisés dans le handisport car finalement, qu’on soit valide ou handi, les séances clés sont les mêmes : des exercices de fractionné, des éducatifs, du travail spécifique, de la récupération… Alors certes le matériel est différent, mais comme pour les valides, c’est à toi de te sentir bien sur ton vélo/handbike ou sur ton fauteuil/dans tes running !
5. Tu as récemment participé à l’emblématique IRONMAN de Kona à Hawaï en faisant un podium, tu peux nous raconter ?
Il y a 3 courses qualificatives pour les para-athlètes : en Europe, aux Etats-Unis et en Océanie. Moi j’ai participé à celle au Luxembourg au mois de juin, je suis arrivé 2e, ce qui m’a donné mon ticket d’entrée pour Kona en octobre.
La légende dit que le triathlon a été inventé là-bas et ça se sent, la ville transpire le triathlon, c’est une ambiance unique.
J’avais déjà fait un Ironman il y a 7 ans, le Frenchman en 2015, j’avais donc quelques références, je l’avais terminé en 10h50, mais le parcours était beaucoup plus plat qu’à Kona.
On est donc le jeudi 6 octobre vers 6h30 du matin, il fait environ 23 °C, avec une température de l’eau à 27 °C. On prend le départ avec les femmes et certaines catégories d’hommes.
Je ne suis pas dans ma plus grande forme, je me remets à peine d’un rhume + toux, peut-être le COVID, en tout cas je suis encore fatigué donc je n’ai pas l’ambition de faire une performance.
Pour la natation, je suis porté jusqu’à la ligne de départ. Un coup de klaxon et c’est parti pour 3,8 km de nage. Ça se passe plutôt bien, les bouées sont visibles et il y a peu de vagues. Les fonds sont magnifiques, il y a plein de beaux poissons. Je termine sans trop de difficultés en 1h12, alors que mon objectif était 1h10.
Puis c’est parti pour les 180 km de vélo. Ça commence avec 50-60 km de long faux plat à 3-5 % puis à partir du 70e km il y a 20 km de montée avec une pente à 5 %, ensuite on refait le parcours en sens inverse… Honnêtement je ne m’attendais pas à un vélo aussi difficile en termes de dénivelé positif, j’ai enregistré 1400 m de D+ alors que je ne suis pas vraiment un gars qui aime ça à la base. Mon objectif était de rouler à 27-28 de moyenne, mais j’ai roulé à 23-24 km/h en peinant. La grosse déception, c’était le paysage, on a roulé tout du long sur une 4 voies goudronnée.
Ensuite le marathon. Le parcours commence par une grosse côte, on est toujours sur des grandes voies routières, avec les valides en plus, ce qui nous oblige à faire attention, à prévenir, freiner… c’est pas là qu’on fait son meilleur temps en fauteuil.
Je termine ma course en 12h39. Vu le parcours vélo et mon état, je suis satisfait. Je pense que si j’avais été au top de ma forme j’aurais mis 1h de moins en vélo, mais je n’aurais pas fait beaucoup mieux non plus. Je suis donc content de moi, je n’ai pas terminé explosé. Bon par contre la prochaine fois je pense à mettre de la crème solaire car mon visage en a pris un coup.
Je termine 3e sur les 5 paratriathlètes de ma catégorie.
6. Et quels sont tes prochains défis ?
J’avais prévu de participer aux Championnats du monde de Ironman 70.3 le weekend du 28-20 octobre à Las Vegas mais j’ai abandonné à cause de douleurs au coude gauche depuis Kona. Donc en ce moment je me repose, en espérant que ça aille vite mieux. Comme j’ai besoin de mes bras au quotidien, je ne peux pas me permettre de négliger leur bonne santé.
L’année prochaine, je vais essayer de me qualifier mi-juin au Texas pour les Championnats du monde de Ironman 70.3 en Finlande.
En attendant, je continue mon BF3 (Brevet Fédéral de niveau 3) pour aider le club lors des entraînements. J’aide Victor le mercredi soir à la séance de natation par exemple.
7. Est-ce que tu considères le paratriathlon plus facile ou plus difficile que le triathlon pour les valides ?
Je considère le paratriathlon plus facile que pour les valides, en tout cas dans ma catégorie. La différence majeure, c’est que quand un valide pose son vélo, il doit courir avec ses jambes alors que nous, certes on tape sur le fauteuil pour avancer, mais on est porté.
8. Qu’est-ce que t’as apporté le triathlon dans ta vie et plus largement vis-à-vis de ton handicap ?
Ça m’a apporté beaucoup d’autonomie déjà, puis un but dans la vie. J’avais un garage avant, et bien sûr avec cette maladie j’ai été reconnu en invalidité permanente. Le triathlon m’a donné des objectifs de court, moyen et long terme. Je me lève le matin avec quelque chose à faire qui s’inscrit dans un projet global.
Je ne suis plus tout jeune, mais je suis encore trop jeune pour être à la retraite, alors tant que ça me procure du plaisir, je continuerai à pratiquer ce sport.
Puis les compétitions c’est aussi vecteur de partage avec ma famille et mes amis. Quand je vais à une course, ils viennent avec moi et on en profite pour passer des vacances ensemble, visiter les villes etc.
J’ai un blog aussi (alexandrepavizaparatriathlon.jimdofree.com), ma fille s’occupe de l’alimenter, ça permet de créer du lien.
9. Tu as donc 2 grands enfants ? Comment ont-ils vécu ton handicap soudain ?
J’ai une grande fille et un garçon, ils avaient 11 et 17 ans quand ma maladie s’est déclarée. Je dirais qu’ils l’ont bien vécu, car se sont des enfants équilibrés et qu’on a un socle familial solide. On s’entend tous bien et on est très soudés avec ma compagne, en plus d’être profondément optimistes. Même si sur le coup ça a été un choc, je pense qu’ils l’ont globalement bien pris. De toute façon, il faut composer avec ce que l’on a, pas avec ce que l’on n’a pas.
Propos recueillis le 22 octobre 2022 par Julie TRANG
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